Ana NON

De Agustin Gomez-Arcos – publié en 1977

Présenté par Michel NOUGIER

 

Elle n’est pas grande. Elle n’est pas vraiment belle. Elle n’est pas riche. Elle n‘est pas instruite, elle est même totalement illettrée comme plus de 65% de la population espagnole. En fait, Ana est une fille ordinaire et simple que l’on remarque à peine. Le fait de vivre et de jouer son rôle de femme suffit à son bonheur.

A cette époque, dans le royaume d’Espagne catholique et arriéré, on ne demandait pas leur avis aux filles avant de les marier. C’est ainsi qu’elle a épousé un marin, Pedro Paücha*. C’est un homme modeste et sincère, courageux et rude. Leur amour n’a rien de romanesque mais il est pur. Ana aime son mari et surtout les trois garçons qu’elle lui donne.

Même si la pauvreté habite le quotidien de cette famille andalouse, la vie s’écoule dans un bonheur plein d’innocence et d’humilité. Les enfants grandissent et mis à part le dernier, Jésus, ils n’auront guère le temps de fréquenter l’école. Au prix d’énormes privations, on a réussi à économiser sous à sou pour se payer une barque et conquérir un brin d’indépendance.

Malheureusement, l’injustice et la misère qui règnent alors en Espagne finissent par déclencher une terrible guerre civile. Les trois hommes de la pauvre ANA vont s’engager dans l’armée régulière de la République. Son mari et ses deux ainés y perdront la vie. Le plus jeune fils sera emprisonné à perpétuité dans le Nord du Pays. 

A la fin de la guerre gagnée par les rebelles putschistes, Ana reçoit du courrier de son dernier enfant. Comme elle ne sait pas lire, c’est le facteur qui lui en révèle le contenu. C’est ainsi que tout le village apprend les motifs de l’’incarcération de Jésus. Malgré son attachement farouche à la religion catholique, la société espagnole ne se  comporte pas nécessairement de façon très chrétienne. Ana devient donc « Ana, la rouge ». Pour ne pas alimenter les ragots, elle décide donc qu’elle n’ouvrira  plus le courrier qu’elle reçoit et dont elle ne peut prendre connaissance.

Les années passent aussi tranquillement que possible. Ana nourrit l’espoir de revoir son dernier fils. « Il ne restera pas éternellement en prison » se dit-elle. Mais aujourd’hui,  elle réalise qu’elle a soixante-quinze ans et qu’elle a vécu  dans la négation de la vie. Elle est devenue « Ana, Non ». Alors, sentant la mort roder autour d’elle, poussé par son amour de mère, elle  prend la décision de ne pas disparaître sans avoir revu son dernier fils, une ultime fois. Elle prépare pour lui un « pain aux amandes, huilé, anisé, fortement sucré, un vrai gâteau ». Elle réunit le peu d’argent qu’elle possède,  ferme à clé la porte de sa maison et s’en va en direction du Nord, à la rencontre de sa propre mort.  

Nous sommes en 1971, le dictateur Franco règne en Maitre incontesté sur l’Espagne.

« Ana Non » entame alors un voyage initiatique qui se transforme en véritable errance au cours de laquelle elle se dépouille de tout jusqu’à sa propre dignité. Cependant, jamais, elle ne se séparera de son « pain aux amandes, huilé, anisé, fortement sucré, un vrai gâteau ».

Au cours de son long et pénible trajet qui suit le chemin de fer du Sud vers le Nord avec un détour techniquement peu justifié par Madrid, elle fera des rencontres de toutes sortes, fera de petits boulots, mendiera, participera à des manifestations officielles d’une hypocrisie odieuse, etc.  Un jour, un pauvre guitariste lui apprendra à lire et à écrire. C’est à partir de ce moment-là que « Ana, Oui » commencera à apparaître. Que se passera-t-il alors ? Les vaincus ne doivent-ils pas retrouver leur fierté pour engager la nouvelle guerre que la paix a instaurée ?

Avec « Ana NON », Agustin Gomez-Arcos, auteur d’expression espagnole et française, nous invite à faire un voyage suivant lequel la réalité de l’humanité nous sera révélée tant avec ses vertus qu’avec toutes les horreurs et les bassesses dont elle est capable.

 

                                                                                                         Michel NOUGIER

 

* (Paucha signifie « servant[e] » en patois du Bas Limousin –Occitanie)