Le chemin de la Roncerai
De Didier Cornaille (publié en 2020)
(Livre présenté par Michel NOUGIER)
Nous sommes dans le Morvan, au village fictif de Lérignère, dans les années d’après-guerre. Le jeune Joseph Sarmeret vit dans la modeste ferme de ses parents qui se situe sur le chemin de la Roncerai, une vaste demeure occupée par de riches bourgeois très respectés (Les Chauvière) qui en plus d’une grande demeure bourgeoise, détiennent non seulement une grande exploitation agricole mais aussi un immense domaine forestier. Malheureusement, quelques jours avant la fin de la guerre, le propriétaire du château que le petit peuple appelle « Not’Maitre » est abattu par les Allemands du fait de son engagement dans la Résistance. La succession du défunt ne comptant aucun garçon, c’est à une fille (Astrid) qu’échoit l’ensemble immobilier. Mais le poids des coutumes impacte encore lourdement le statut légal de la femme, qui ne peut en aucun cas assurer la gestion d’une ferme. La Roncerai sombre dans un quasi abandon. (Il faut en effet attendre la loi du13 juillet 1965 pour que les filles puissent gérer leurs biens propres et exercer une activité professionnelle sans le consentement de leur mari.)
Nous sommes à l’époque de la reconstruction influencée par les Américains, leur hégémonie, leur culture du profit et leurs désirs de grandeur. Le plan Marshall et sa politique de prêts sont en œuvre dans toute l’Europe. Les sirènes de la ville vantées par les émissions de radio du moment attirent les jeunes paysans en quête de prospérité, de modernisme et de lendemains qui chantent. Dans les campagnes se met en place le remembrement. C’est aussi le temps de la mécanisation. On voit apparaître les tracteurs et tout un matériel agricole vendu à prix d’or. Les petites fermes disparaissent. Elles sont rachetées par ceux qui restent et acceptent de s’endetter auprès des banques. Dans le même temps, le bistrot de Lérignère ferme et on ne sait pas s’il rouvrira. Les anciens se désolent en envisageant le pire pour l’avenir de leur commune. C’est la désertification qui commence. Les temps changent. Les traditions se perdent. De nouvelles techniques telles que l’ensilage apparaissent.
Dans les années 60, un mouvement de contre-culture, « Les hippies », prônent la vie en communauté, l'usage des drogues, les philosophies orientales, une approche nouvelle des relations humaines résumée par le slogan "Peace and Love". Et puis, le miroir aux alouettes que représentaient les villes et leurs usines pour les petites gens a cessé de briller. Le monde ouvrier s'est mis subitement à penser que le sort qu'on lui réservait pouvait sûrement être amélioré. Ce fut la révolte de mai 1968. Immédiatement après cette explosion sociale, ce fut en 1971 la dénonciation par les USA des accords de « Bretton Woods» signés en 1944. Dans la foulée de la disparition de ce traité, les six états membres de la Communauté Européenne mirent en place, en 1972, le fameux serpent monétaire qui se révéla inefficace et n’empêcha pas l’inflation d’atteindre des sommets. La crise pétrolière de 1973 aggrava encore plus la situation économique. Avec l’inflation, naquit une surenchère au niveau des salaires. Le coût de la main d’œuvre devenue trop élevée entraîna la désindustrialisation progressive du pays.
Philosophe, le jeune Sarmeret regarde le monde s’agiter autour de lui. Il voit son village se dépeupler mais il ne l’imagine pas dépérir. En fait, sa vision des choses est pleine de modestie. Il a, profondément ancré en lui, le respect des traditions ancestrales. Au demeurant, on serait tenté de dire qu’il pense sûrement que « tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ». En ce qui le concerne, même s’il se déchire en questionnements, il n’en demeure pas moins fataliste. Il est fils de gueux et sera donc toujours un gueux. Il a décidé de rester sur son lopin de terre et dans sa petite maison quoi qu’il arrive. En définitive, il ne se sent pas concerné par l’agitation et les promesses du monde qui sont peut-être bien fallacieuses. D’ailleurs, il s’est fait la promesse de perpétuer la tradition en demeurant auprès de ses parents et en reprenant tout à la fois les gestes et le savoir-faire de ses ancêtres.
Comme la petite ferme n’est pas assez grande pour nourrir toute la famille, Joseph s’engage comme bûcheron saisonnier. Il aime la nature et la forêt qui forment tout son univers. D’un côté, son travail de bûcheron le passionne, mais par ailleurs, il souffre des affres de la solitude car le service militaire l’a séparé de sa promise de l’époque, qui s’est donnée ailleurs. Tant pis, il se contente de son sort de pauvre gueux dont il pense qu’il ne sortira jamais car c’est ainsi.
Durant des années, la Roncerai, mal gérée, a perdu de sa valeur. Mais un jour, André Gaudrant, un riche agriculteur du Nord de la France, qui a déjà investi son fils aîné, Victor, sur sa propre exploitation proche de la Belgique, décide de racheter le bien des Chauvière pour son fils cadet, Albert, un garçon sympathique et bon vivant mais malheureusement sans envergure. Suivant en cela la tradition ancestrale applicable alors aux filles, Julienne, le troisième enfant d’André Gaudrant, n’a tout naturellement reçu aucun actif immobilier.
Avec ce changement de propriétaire, la Roncerai retrouve un peu de son lustre et de son activité. Madeleine, une fille du pays, ambitieuse, intelligente, audacieuse et manipulatrice s’arrange pour épouser Albert. Une fois dans la place, elle prend les commandes de l’ancienne exploitation agricole, délaisse les bois et les forêts et se lance dans l’élevage intensif de bovins. Dès le début des années 1970, elle fait édifier un vaste centre d’allotement destiné à approvisionner les régions du Nord en viande de bœuf. Elle achète des camions et l’entreprise démarre très rapidement. L’activité économique du village repart. Le bistrot a été racheté et a rouvert ses portes. Le village retrouve la vie. Mais la satisfaction et l’enthousiasme de la population ne durent pas longtemps. La crise pétrolière de 1973 est là. L’augmentation importante du prix des carburants va dangereusement freiner les ambitions de Madeleine. Les bois mal exploités engendrent des déficits importants qui menacent l’équilibre des comptes de l’entreprise. Énergique, Madeleine se doit de réagir. Albert pense alors à Joseph qui a tout le savoir-faire nécessaire pour gérer la forêt. Mais Albert est inconsistant et oublie de poursuivre l’idée. Par ailleurs, Joseph ne se sent pas l’âme d’un patron. Il lui est difficile d’oublier la modestie de ses origines. N’est-il point un fils de gueux destiné à rester pauvre ?
La roue tourne et André Gaudrant, conscient de l’injustice qu’il a fait subir à sa fille, Julienne, rédige un testament en sa faveur. C’est ainsi qu’à son décès, la jeune femme reçoit toutes les très importantes liquidités que son père avait judicieusement placées.
Julienne aime le Morvan et ses forêts. Elle est aussi attirée par Joseph dont elle a déjà fait connaissance et qu’elle a apprécié. Comme elle, cet homme solitaire a les mêmes goûts pour la terre, la nature et les arbres. Alors que les affaires d’Albert et Madeleine sont proches du dépôt de bilan, elle décide de les aider en leur rachetant le domaine de la Roncerai. …
Michel NOUGIER